La démonstration de Kaczynski
1.1 Panorama général : la misère de la société industrielle réclame une révolution.
Dès le premier paragraphe, Kaczynski rentre dans le vif du sujet :
Les conséquences de la révolution industrielle ont été désastreuses pour l'humanité. Pour ceux d'entre nous qui vivent dans les pays « avancés » l'espérance de vie s'est accrue, mais la société a été déstabilisée, la vie privée de sens, les hommes ont été livrés à l'humiliation, la souffrance psychique s'est généralisée — souffrance qui est également physique dans le tiers monde — et enfin le monde naturel été gravement détérioré. Le développement accéléré de la technologie va empirer les choses et sans aucun doute infliger aux hommes des humiliations plus graves encore et à la nature de plus grands dommages ; il va probablement accroître la désagrégation sociale et la souffrance psychique, et peut-être augmenter la souffrance physique, même dans les pays « avancés ».
Kaczynski ne nuancera pas ces propos. Après avoir avancé que le système industriel-technologique ne peut survivre qu’ « au prix d'une réduction définitive des hommes, et de beaucoup d'autres organismes vivants, à l'état de produits manufacturés, simples rouages de la machine sociale. » et que son effondrement sera dans tous les cas douloureux, mais d’autant plus douloureux qu’il interviendra plus tardivement, Kaczynski en tire la conclusion qui s’impose : « Nous préconisons donc une révolution contre le système industriel. »(paragraphe 4).
Mais cette « révolution » ne devra pas être « politique » elle devra s'attaquer, directement « aux bases économiques et technologiques de la société actuelle » et surtout elle devra s’émanciper de toute référence au « gauchisme » ou au « progressisme ».
1.2 Le « progressisme » ou le « gauchisme » sont des signes de cette misère.
Passée cette courte introduction, Kaczynski se livre en effet à une critique féroce du gauchisme, lequel repose selon lui sur la haine de soi et sur la « sur-socialisation ».
Dans une inspiration que l’on pourrait qualifier de « Nietzschéenne » Kaczynski estime que cette « haine de soi » conduit les « gauchistes » à d’identifier aux groupes qu’ils jugent inférieures (voir le paragraphe 13) et à haïr « ce qui renvoie une image de force, d'habileté et de réussite » (paragraphe 15).
Quant à la sur-socialisation, (paragraphe 24 : « Les psychologues utilisent le terme de «socialisation» pour désigner le processus d'apprentissage par lequel on fait passer les enfants, afin qu'ils pensent et qu'ils agissent comme l'exige la société. »), Kaczynski estime qu’elle conduit de nombreux individus à « …se leurrer sans cesse sur leurs propres mobiles et trouver des explications morales à des sentiments et à des actions qui, en réalité, ont une autre origine. »
De nombreux gauchistes rentrent pour lui dans cette catégorie des individus « sursocialisés », ce qui explique leur « haine de soi », et sous l’apparence d’une rébellion superficielle, révèle un profond conformiste, un attachement au fonctionnement actuelle de la société, à la morale et aux conventions dominantes.
A la première lecture, on ne saisit pas immédiatement le lien entre cette critique du « gauchisme » et le thème général du livre : les gauchistes seraient sur-socialisés et pas biens avec eux-mêmes… Et alors ? Quel rapport avec la société industrielle ?
Kaczynski explique ce « rapport » de manière plus explicite à partir du paragraphe 213. D’une part, il veut nous faire comprendre qu’il ne faut pas compter sur les gauchistes pour entreprendre une véritable révolution, car ce sont en fait des conformistes attachés au fonctionnement la société actuelle et d’autre part que les diverses luttes engagées par les progressistes détournent l’attention du principal objectif révolutionnaire qui est l’abolition du système industriel. Cet aspect ressort tout particulièrement dans sa nouvelle de 1999 « La nef des fous ».
1.3 Le processus de pouvoir, besoin humain fondamental, est décrit.
Après sa critique du gauchisme, Kaczynski en vient au cœur de son argumentation, la description de ce qu’il nomme « le processus de pouvoir » (également traduit par « processus d’auto-accomplissement »). Paragraphe 33 :
Les êtres humains ont le besoin, sans doute biologique, de quelque chose que nous appellerons le « processus d'auto-accomplissement ». Il s'agit d'un besoin voisin du besoin de puissance, dont l'existence est largement reconnue, sans que ce soit exactement la même chose. Ce processus d'auto-accomplissement comporte quatre composantes. Nous nommerons but, effort et réalisation les trois composantes les plus aisément identifiables — tout le monde a besoin de buts qui exigent des efforts pour être atteints, et de réussir à en atteindre au moins quelque uns. La quatrième composante est plus délicate à définir et n'est peut-être pas indispensable à tout le monde ; il s'agit de l'autonomie, dont nous parlerons plus loin (paragraphes 42-44).
Kaczynski veut montrer que l’être humain a besoin d’accomplir certains efforts pour parvenir a ses buts. S’il ne rencontre aucune difficulté à surmonter, il sombre dans l’ennui. Évidemment s’il ne rencontre que des difficultés insurmontables, le découragement le guette ou même la mort si les objectif poursuivit son vitaux. Kaczynski en rend compte au paragraphe 37 :
Pour éviter de sérieux problèmes psychologiques, un homme doit donc se donner des buts qui supposent des efforts pour être atteints, et il doit connaître un minimum de succès dans la poursuite de ses buts.
...et au paragraphe 59 :
Nous divisons les aspirations humaines en trois catégories : 1) celles qui peuvent être satisfaites à l'aide d'un effort minime ; 2) celles qui peuvent être satisfaites, mais au prix d'efforts sérieux ; 3) celles qui sont impossibles à satisfaire, quels que soient les efforts fournis. L'auto-accomplissement est le processus qui consiste à satisfaire les aspirations de la deuxième catégorie. Quant à celles de la troisième, plus elles sont nombreuses, plus sont fréquents la frustration, la colère, le défaitisme, la dépression, etc.
1.4 Le processus de pouvoir est bloqué dans la société industrielle, il en résulte une multitude de « problèmes sociaux ».
D’après Kaczynski dans la société industrielle, les efforts accomplit concernent le plus souvent des buts « non essentiels », c'est-à-dire (non vitaux) sans rapport avec la satisfaction des nécessités de la vie. Kaczynski les nomme les « activités de substitutions » au paragraphe 39 :
Nous utiliserons l'expression «activité de substitution» pour désigner une activité dirigée vers un but artificiel que les gens se donnent à seule fin d'avoir un but quelconque à poursuivre, et surtout pour le sentiment de «réalisation» qu'ils retirent de cette activité. …
Ces activités de substitution se multiplient lorsque les efforts devant être engagés pour atteindre les buts essentiels diminuent, paragraphe 40 :
Dans la société industrielle moderne, la satisfaction des besoins matériels ne requiert qu'un minimum d'efforts. Il suffit de suivre une formation qui dispense un petit savoir-faire technique, puis d'arriver à l'heure au travail et de déployer le peu d'effort nécessaire pour conserver ce travail. Une intelligence moyenne et, par-dessus tout, la soumission : voilà tout ce que la société demande, ensuite de quoi elle prendra soin de vous, depuis le berceau jusqu'à la tombe.
Mais les activités de substitutions sont moins satisfaisantes, paragraphe 41 :
Pour beaucoup, si ce n'est pour la majorité, les activités de substitution sont en réalité moins satisfaisantes que ne le serait la poursuite de buts authentiques — c'est-à-dire de buts qui existeraient même si le besoin d'auto-accomplissement n'était pas frustré. …
Par ailleurs Kaczynski estime que la plupart des gens ont besoin d’un minimum d’autonomie, de commandement et de contrôle dans la réalisation de leurs objectifs, pour acquérir confiance et estime d’eux-mêmes. Cette autonomie reste compatible avec l’action de petits groupes, mais ne peut se concilier avec les commandements d’une hiérarchie ou avec l’action d’un groupe si important que le rôle des différents individus pris isolément y devient insignifiant. La société industrielle ne permettrait pas cette autonomie dans la réalisation des buts. Il en résulterait la variété des problèmes sociaux que Kaczynski décrit au paragraphe 44 :
Pour quiconque n'a pas l'occasion de mener à bien le processus d'auto-accomplissement, les conséquences, qui dépendent de l'individu et de la manière dont ce processus est perturbé, sont l'ennui, la démoralisation, la dépréciation de soi, les sentiments d'infériorité, le défaitisme, la dépression, l'anxiété, la culpabilité, la frustration, l'hostilité, la violence envers sa femme ou son enfant, l'hédonisme insatiable, les déviations sexuelles, les troubles du sommeil ou de l'appétit, et ainsi de suite.
Ces « problèmes sociaux » trouvent leur origine dans l’impossibilité de réaliser le processus du pouvoir dans les sociétés modernes1, et plus généralement, paragraphe 46 :
…dans le fait qu'elles imposent des conditions de vie radicalement différentes de celles qui ont permis l'évolution de l'espèce humaine, et des modes de comportement en rupture avec ceux des hommes d'autrefois. …
Comme, paragraphe 47 :
…la densité excessive de la population, la séparation de l'homme et de la nature, l'extrême rapidité des transformations sociales et l'effondrement des petites communautés naturelles telles que la famille élargie, le village ou la tribu.
Paragraphe 48 :
…De plus, la technologie aggrave les conséquences de la promiscuité en donnant aux gens la possibilité de nuire à leurs semblables. Par exemple, tout un arsenal d'appareils bruyants : tondeuses à gazon, postes de radio, motos, etc. Si l'utilisation de ces engins n'est pas réglementée, les gens qui veulent la paix et la tranquillité sont excédés par le bruit. Si leur emploi est limité, les gens qui les utilisent se sentent frustrés. Mais si ces machines n'avaient jamais été inventées, il n'y aurait eu ni conflit ni frustration.
Et paragraphe 49, enfin :
La nature, qui change très lentement, procurait un cadre stable aux sociétés primitives, et donc un sentiment de sécurité. Dans le monde moderne, c'est au contraire la société humaine qui domine la nature, et les changements technologiques modifient rapidement cette société. Il n'y a donc plus de cadre stable
2
La surpopulation n’est pas pour Kaczynski le facteur essentiel de la « multiplication des problèmes actuels » qui tiennent davantage au fait que ces changements technologiques sont « imposés » à l’homme moderne. Kaczynski cite en contre-exemple les pionniers américains qui avaient selon lui le sentiment de transformer eux-mêmes leur environnement et donc accomplissaient par là même le « processus de pouvoir ».
Au contraire, la société moderne ne permet pas l’accomplissement du « processus de pouvoir ». Elle tente vainement d’y parvenir en créant des besoins artificiels, qui inciteront les individus à faire davantage d’efforts, à travailler davantage pour les satisfaire, paragraphe 63 :
… de sérieux efforts sont en effet requis pour gagner l'argent nécessaire à la satisfaction de ces faux besoins, des techniques de publicité et de marketing ayant été mises au point pour convaincre les individus qu'il leur faut absolument ces objets que leurs grands-parents n'auraient jamais désirés ni même rêvés…
Mais, paragraphe 64 :
Il semble que pour beaucoup de gens, peut-être la majorité, ces formes artificielles d'auto-accomplissement soient insuffisantes.
…
Mais nous pensons que, pour la majorité des gens, une activité dont l'objet principal est la réalisation de soi (c'est-à-dire une activité de substitution) ne peut procurer une réalisation de soi pleinement satisfaisante. En d'autres termes, elle ne peut satisfaire entièrement le besoin d'auto-accomplissement (voir paragraphe 41): on ne peut le satisfaire vraiment que par des activités ayant quelque but extérieur, comme les besoins matériels, la sensualité, l'amour, le prestige, la vengeance, etc.
Kaczynski remarque que, outre le manque général d’autonomie qu’elle implique, la société moderne ne permet pas aux efforts individuels de satisfaire un besoin aussi essentiel que le besoin de sécurité, paragraphe 67 :
…Nos vies dépendent de décisions prises par d'autres ; nous n'avons aucun contrôle sur ces décisions et nous ignorons souvent même le nom des gens qui les prennent. («Nous vivons dans un monde où les décisions importantes sont prises par relativement peu de gens — peut-être 500 ou 1.000, Philip B. Heymann, de la Harvard Law School, cité par Anthony Lewis, The New York Times, 21 avril 1995.) Nos vies dépendent du respect des normes de sécurité dans les centrales nucléaires, du taux de pesticides toléré dans nos aliments, du degré de pollution de l'air, de la compétence (ou de l'incompétence) de notre médecin. Le fait d'obtenir un emploi (ou de le perdre) dépend de décisions prises par les économistes du gouvernement ou par les dirigeants des grandes entreprises, etc. La plupart des individus ne peuvent guère se soustraire à ces dangers. Le besoin individuel de sécurité est donc frustré, provoquant ainsi un sentiment d'impuissance.
Kaczynski reconnaît qu’objectivement, l’homme primitif était matériellement moins en sécurité, mais, comme cette sécurité dépendait de ses efforts (et de celle du groupe restreint dans lequel il était inséré), il pouvait parvenir à un plus grand sentiment de sécurité.
Kaczynski remarque encore que par les règlements qui lui sont nécessaires, (non violence, conformisme etc…) la société moderne contraint fortement les individus, même si elle parait à certains égards permissive. Ces contraintes ajoutées au non accomplissement du processus de pouvoir entraînent insatisfactions et regrets qui s’accumulent aux différents âges de la vie (paragraphes 71 à 75).
Kaczynski admet que la société permet à certains individus de s’adapter au moins partiellement, parce que leur besoin d’accomplissement est très faible ou, parce que tout en étant très fort, il trouve sa satisfaction dans la conquête du prestige social. L’adaptation est également possible parce que certains se satisfont des faux besoins et des acquisitions matérielles, ou du processus de pouvoir vécu « par procuration », à travers les victoires d’un pays, d’une organisation ou d’un groupe (paragraphe 83). Mais, selon Kaczynski, cette adaptation est dans tous les cas incomplète et elle ne permet pas de justifier la société industrielle, car (paragraphe 86) :
Mais même si la plupart des gens étaient satisfaits de la société industrielle-technologique, nous (FC
3) lui resterions hostiles parce que, entre autres raisons, nous trouvons dégradant que l'individu soit condamné à des activités de substitution ou à s'identifier à une organisation pour tenter de mener à bien son auto-accomplissement, faute de buts réels à poursuivre.
Pour Kaczynski, la science est également une activité de substitution, lié au besoin de réalisation personnelle des scientifiques et n’a souvent pas de lien avec la curiosité ou avec le bien de l’humanité. Ainsi donc, paragraphe 92 :
La science poursuit donc aveuglément sa marche en avant, sans se soucier du véritable bien-être de l'espèce humaine (ni de quoi que ce soit d'autre), obéissant seulement aux besoins psychologiques des scientifiques, des fonctionnaires du gouvernement et des dirigeants de l'industrie qui financent la recherche.
Kaczynski, définit ensuite ce qu’il considère être « l’essence de la liberté » (paragraphe 94) :
Par «liberté» nous entendons la possibilité de mener à bien le processus d'auto-accomplissement, avec des buts réels et non pas artificiels comme ceux des activités de substitution, et sans intrusion, manipulation ou contrôle de quiconque, en particulier d'aucune grande organisation. La liberté signifie la maîtrise — en tant qu'individu isolé ou membre d'un groupe restreint — des questions vitales de sa propre existence : la nourriture, l'habillement, l'habitat et la défense contre toute menace éventuelle. Être libre signifie avoir du pouvoir ; non pas celui de dominer les autres, mais celui de dominer ses conditions de vie. Nous ne pouvons être libres si qui que ce soit, en particulier une grande organisation — nous dirige, quelle que soit la manière dont ce pouvoir s'exerce, avec bienveillance, indulgence ou permissivité. Il est important de ne pas confondre liberté et permissivité.
Et de ce point de vue, la liberté véritable, du moins tel que l’entend Kaczynski n’a que peu de rapport avec les droits garantis dans les régimes « démocratiques ».
1.5 Toute tentative de réforme de la société industrielle est vouée à l’échec, une révolution est nécessaire, elle doit intervenir avant qu’un contrôle total des comportements ne soit mis en place.
Kaczynski discerne dans l’histoire des changements réguliers, constitutifs de tendances à long terme et des changements plus irréguliers, plus erratiques et conjoncturels. Selon lui, les seconds ne peuvent pas véritablement influencer les premiers. Un changement qui ne concerne qu’un aspect de la société, une réforme politique par exemple, est toujours impuissant à infléchir ses véritables tendances. Une société ne peut évoluer que si toutes ses composantes sont affectées par un changement important, mais dans ce cas, il est impossible de prévoir les conséquences de cette évolution.
Les réformes sociales ne feraient donc que retarder ou accélérer des changements inévitables. Pour modifier le cours de la vie sociale, seule une révolution est envisageable, mais ses conséquences sont imprévisibles.
Ainsi, pour Kaczynski, la société industrielle et technologique ne peut être réformée, paragraphe 111 :
Ces principes montrent bien qu'il est vain de vouloir réformer le système pour l'empêcher de restreindre progressivement notre liberté. Depuis la révolution industrielle en tout cas, la technologie a eu constamment tendance à renforcer le système aux dépens de la liberté individuelle et de l'autonomie locale. Aussi un changement visant à protéger la liberté contre la technologie serait contraire à une des tendances fondamentales du développement de notre société. …
Paragraphe 114 :
Comme nous l'expliquions aux paragraphes 65-67 et 70-73, l'homme moderne est empêtré dans un filet de lois et de réglementations, et son sort dépend des agissements d'individus éloignés, sans qu'il puisse influer sur leurs décisions. Ce n'est pas un accident ni un effet de l'arbitraire d'arrogants bureaucrates, cela est nécessaire et indispensable aux sociétés technologiquement avancées. Le système doit réglementer le comportement humain pour fonctionner. Dans leur travail, les gens doivent obéir exactement aux ordres, sans quoi la production tournerait au chaos. Les bureaucraties doivent être régies par des lois rigides. Laisser une marge de manœuvre substantielle aux petits bureaucrates perturberait le système et susciterait des accusations d'injustice dues aux différentes manières dont les bureaucrates exerceraient leur fonction. Il est vrai qu'on pourrait éviter certaines restrictions de notre liberté, mais d'une façon générale l'administration de nos vies par de grandes organisations est nécessaire au fonctionnement de la société industrielle-technologique. …
Et 115 :
Le système doit contraindre les gens à adopter des comportements de plus en plus étrangers au comportement naturel de l'homme. …
La relocalisation des activités dans des groupes plus « restreints », que l’on pourrait considérer comme une solution, est pour Kaczynski incompatible avec le maintien de la technologie actuelle, paragraphe 117 :
…Une société technologique ne peut pas être composée de petites communautés autonomes, parce que la production dépend du concours d'un grand nombre de personnes et de machines. Une telle société doit donc être hautement organisée et des décisions doivent être prises qui affecteront le plus grand nombre. …
Et pour Kaczynski, les bons côtés de la technologie ne peuvent être séparés des mauvais, paragraphe 121 :
La technologie moderne est un système unifié où toutes les parties sont interdépendantes.
Il cite le cas du progrès médical, qui débouchera nécessairement selon lui sur les programmes eugéniques et sur la manipulation génétique des êtres humains (paragraphe 122 à 124).
Plus généralement, la technologie lui semble être une force sociale plus puissante que l’aspiration à la liberté. Il cite l’exemple de l’automobile, paragraphe 127 :
Il arrive fréquemment qu'une avancée technologique qui semblait au départ inoffensive finisse par mettre en péril la liberté. Par exemple, un piéton pouvait autrefois aller où bon lui semblait, à sa propre allure, sans se préoccuper du code de la route ; …
Depuis l'invention de l'automobile, l'aménagement des villes a changé de manière telle qu'il est devenu impossible à la majorité des gens de se rendre à pied à leur travail, dans les magasins et dans les lieux de divertissement ; …
une nouvelle technologie est souvent tout d'abord l'objet d'un choix, mais elle ne le reste pas nécessairement. Dans de nombreux cas, elle transforme la société de telle manière que les gens se trouvent finalement contraints de l'utiliser.
Le seul espoir, pour Kaczynski est que les tensions induites par le système conduisent les gens à se révolter, paragraphe 134 :
Pour toutes ces raisons, la technologie est une force sociale bien plus puissante que l'aspiration à la liberté. Mais il faut apporter à cette affirmation une réserve de taille. Il est certain qu'au cours des prochaines décennies, le système industriel-technologique subira des tensions considérables liées aux problèmes écologiques et économiques, et plus particulièrement aux troubles du comportement humain (aliénation, rébellion, agressivité, troubles sociaux et psychologiques divers). Nous espérons que ces tensions prévisibles entraîneront le système à sa perte, ou du moins l'affaibliront suffisamment pour qu'une révolution se produise et soit victorieuse. Alors seulement aura-t-on la preuve que le désir de liberté est plus puissant que la technologie.
La révolution semble en effet plus aisée que la réforme à Kaczynski qui remarque que des problèmes relativement simples, comme l’écologie (voir l’intéressant paragraphe 137) demeurent irrésolus – les dernières gesticulations de Copenhague lui donnent raison – ce qui laisse prévoir que la conciliation bien plus difficile à obtenir, selon lui, entre technologie et liberté ne pourra être atteinte.
Mais cette révolution peut ne jamais advenir, car le système technologique acquiert des moyens de plus en plus important de contrôler les comportements humains. Il peut donc se maintenir, à la différence des anciennes sociétés qui s’effondraient lorsque leur tyrannie devenait insupportable. Paragraphe 145 :
Qu'on imagine une société soumettant les gens à des conditions qui les rendent terriblement malheureux, tout en leur procurant des médicaments qui leur ôtent toute conscience de leur malheur. Science-fiction ? Dans une certaine mesure, nous y sommes déjà. …
Comme moyens de contrôle de la société moderne, Kaczynski cite les médicaments, les diverses techniques de surveillance et de marketing, l’organisation des loisirs et des divertissements de masse, l’éducation et la génétique… Paragraphe 160 :
A tous ceux qui pensent que cela relève de la science-fiction, nous répondons que la science-fiction d'hier est la réalité d'aujourd'hui. La révolution industrielle a radicalement changé l'environnement et le mode de vie de l'homme, et comme la technologie s'attaque désormais au corps humain et à son esprit, il faut s'attendre à ce que l'homme lui-même soit changé tout aussi radicalement que le furent son environnement et son mode de vie.
Et paragraphe 162 :
Le système est engagé actuellement dans une lutte désespérée pour résoudre certains problèmes qui menacent sa survie, parmi lesquels celui du comportement humain, qui est le plus important. Si le système réussit à mettre en place assez rapidement un contrôle suffisant, il survivra probablement. Sinon, il disparaîtra. Nous pensons qu'il faudra plusieurs décennies pour trancher cette question, disons entre quarante et cent ans.
L’espèce humaine est donc, selon Kaczynski, à « la croisée des chemins ». Les nouvelles techniques de contrôle du comportement ne sont pas si simples à mettre en œuvre et les individus se révoltent de multiples façons, paragraphe 165 :
Mais supposez au contraire que le système échoue à maîtriser les tensions des décennies à venir. S'il s'effondre, il s'ensuivra sans doute une période de chaos, une «époque de troubles» semblable à celles que l'histoire a traversées à plusieurs reprises par le passé. Il est impossible de prédire ce qui en émergera alors, mais, de toute façon, ce sera pour l'humanité une nouvelle chance. ...
1.6 Les conséquences de cette révolution sont analysées, de même que les conséquence de son échec qui conduirait soit à l’extinction de l’humanité soit à son asservissement total.
Il faut donc s’atteler à deux tâches principales, paragraphe 166 :
Ceux qui haïssent l'esclavage dans lequel le système industriel tient l'espèce humaine doivent donc s'atteler à deux tâches précises. Nous devons tout d'abord travailler à aiguiser les tensions sociales afin de précipiter l'effondrement du système ou, en tout cas, l'affaiblir suffisamment pour qu'une révolution devienne possible. Il est nécessaire ensuite de développer et de propager, en prévision d'un moment où le système sera assez affaibli, une idéologie opposée à la technologie et au système industriel. Son but étant de s'assurer qu'au moment de l'effondrement, s'il vient à se produire, soit mis en pièces tout ce qui subsistera de la société industrielle, de sorte qu'elle ne puisse plus être reconstituée. Les usines devront être détruites, les livres techniques brûlés, etc.
Cette révolution, engendrera nécessairement de nombreuses souffrances, que Kaczynski ne cherche pas à dissimuler, page 167 :
Une action révolutionnaire ne suffira pas à mettre bas le système industriel. Pour qu'il devienne vulnérable aux assauts révolutionnaires, il faut que ses problèmes internes de développement engendrent de très sérieuses difficultés. S'il s'effondre, ce sera soit spontanément, soit par un processus de dissolution en partie spontané mais précipité par les révolutionnaires. En cas d'effondrement soudain, beaucoup de gens mourront, puisque la population mondiale est devenue si démesurée qu'elle ne peut même plus se nourrir sans l'aide de la technologie avancée. Même en cas d'effondrement progressif — auquel cas la réduction de la population s'effectuerait davantage par une baisse du taux de natalité que par une hausse du taux de mortalité —, le processus de désindustrialisation sera probablement très chaotique et engendrera de grandes souffrances. Il est naïf de vouloir supprimer la technologie graduellement, d'une manière douce, contrôlée et ordonnée, en particulier parce que les technophiles se battront avec opiniâtreté à chaque étape. Est-il par conséquent cruel de travailler à l'effondrement du système ? Cela dépend. Premièrement, pour que les révolutionnaires puissent le détruire, il faut qu'il connaisse déjà des difficultés telles que son effondrement spontané soit des plus probable ; et comme plus le système s'étendra, plus les conséquences de son effondrement seront désastreuses, il se peut qu'en hâtant le moment de l'effondrement, les révolutionnaires réduisent l'étendue du désastre.
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